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Les vers spondaïques
mardi 2 octobre 2018
Typologie des vers spondaïques
La présence d’un spondée au 5ème pied, caractérisant un « vers spondaïque », est nettement moins fréquente qu’aux autres pieds. Pour l’ensemble de l’Iliade et de l’Odyssée, on dénombre 10526 vers ayant un spondée au premier pied, 11254 au second pied, 4940 au 3ème pied, 8217 au 4ème pied, contre seulement 1427 au 5ème pied.
Vers possédant un intermot entre le 5ème et le 6ème pied
Ils sont particulièrement rares : on n’en observe que 19 au total.
En voici la liste, classée suivant la structure métrique du mot se terminant à l’arsis du 5ème pied.
4 monosyllabes, − :
Il.11.639 οἴνῳ Πραμνείῳ, ἐπὶ δ´ αἴγειον κνῆ τυ̱ρὸν
Od.4.604 πυ̱ροί τε ζειαί τε ἰδ´ εὐρυφυὲς κρῖ λευκόν.
Od.12.64 ἀλλά τε καὶ τῶν αἰὲν ἀφαιρεῖται λὶς πέτρη·
Od.17.208 ἀμφὶ δ´ ἄρ´ αἰγείρων ὑδατοτρεφέων ἦν ἄλσος,
15 spondées, −− :
Il.8.565 ἑσταότες παρ´ ὄχεσφιν ἐΰθρονον Ἠῶ μίμνον.
Il.9.240 ἀ̱ρᾶται δὲ τάχιστα φανήμεναι Ἠῶ δῖαν·
Il.10.238 καλλείπειν, σὺ δὲ χείρον´ ὀπάσσεαι αἰδοῖ εἴκων
Il.10.574 αὐτὰρ ἐπεί σφιν κῦμα θαλάσσης ἱδρῶ πολλὸν
Il.11.723 ἐγγύθεν Ἀ̱ρήνης, ὅθι μείναμεν Ἠῶ δῖαν
Il.18.255 ἄστυδε νῦν ἰέναι, μὴ μίμνειν ἠῶ δῖαν
Od.9.151 ἔνθα δ´ ἀποβρίξαντες ἐμείναμεν Ἠῶ δῖαν.
Od.9.306 ὣς τότε μὲν στενάχοντες ἐμείναμεν Ἠῶ δῖαν.
Od.9.436 ὣς τότε μὲν στενάχοντες ἐμείναμεν Ἠῶ δῖαν.
Od.12.7 ἔνθα δ´ ἀποβρίξαντες ἐμείναμεν Ἠῶ δῖαν.
Od.14.239 ἦεν ἀνήνασθαι, χαλεπὴ δ´ ἔχε δήμου φῆμις.
Od.16.368 νηῒ θοῇ πλείοντες ἐμίμνομεν Ἠῶ δῖαν,
Od.18.318 εἴ περ γάρ κ´ ἐθέλωσιν ἐΰθρονον Ἠῶ μίμνειν,
Od.19.342 ἄ̱εσα καί τ´ ἀνέμεινα ἐΰθρονον Ἠῶ δῖαν.
Od.23.243 νύκτα μὲν ἐν περάτῃ δολιχὴν σχέθεν, Ἠῶ δ´ αὖτε
Vers comportant un intermot après la thesis du 6ème pied
Ils se terminent par un monosyllabe et sont classés selon la nature métrique du mot dont l’une des syllabes se trouve à l’arsis du 5ème pied.
25 sont des spondées, « τε » est systématiquement le dernier mot de ces vers. ces spondées sont systématiquement précédés de « τε » Ils pourraient être inclus dans les 136 vers du § suivant.
67 sont des molosses : le dernier mot du vers est postpositif dans 60 des cas : 49 « τε », 3 « δέ », 1 « γὰρ », 4 « ὣς » postposés, 3 « πρό » postposés ils pourraient rejoindre les 604 vers du § ci-dessous.
Les 7 autres vers comportant des molosses sont les suivants : dont 5 avec le mot χθών en synaphie prosodique avec le mot précédent.
Il.4.182 ὥς ποτέ τις ἐρέει· τότε μοι χάνοι εὐρεῖα χθών.
Il.7.238 οἶδ´ ἐπὶ δεξιά, οἶδ´ ἐπ´ ἀριστερὰ νωμῆσαι βῶν
Il.8.150 ὥς ποτ´ ἀπειλήσει· τότε μοι χάνοι εὐρεῖα χθών.
Il.11.741 ἣ τόσα φάρμακα ᾔδη ὅσα τρέφει εὐρεῖα χθών.
Il.16.384 ὡς δ´ ὑπὸ λαίλαπι πᾶσα κελαινὴ βέβρι̱θε χθὼν
Il.19.117 ἣ δ´ ἐκύει φίλον υἱόν, ὃ δ´ ἕβδομος ἑστήκει μείς·
Il.21.387 σὺν δ´ ἔπεσον μεγάλῳ πατάγῳ, βράχε δ´ εὐρεῖα χθών,
un seul est pentasyllabique, de strucure métrique ⏑⏑−−−. Comme il est suivi d’un enclitique, il pourrait rejoindre les 43 vers du § ci-dessous.
Od.21.284 ἦ ἤδη μοι ὄλεσσεν ἄλη τ´ ἀκομιστί̱η τε."
Vers ne comportant pas d’intermot entre l’arsis du 5ème pied et la fin du vers.
Voici leur nombre selon de la nature métrique du dernier mot du vers.
−−− : 228
Les vers comportant des molosses dont la dernière syllabe se trouve à une arsis sont rares : 7 au 2ème pied, 0 au 3ème, 37 au 4ème, 2 au 5ème, à cet égard les 228 molosses terminaux sont remarquablement nombreux.
−−⏑ : 136
On trouve 156 mots de cette structure se terminant au 2ème pied, 2205 au 3ème, 104 au 4ème et 1449 au 5ème.
−−−− : 246
Les vers comportant des mots de cette structure sont relativement peu nombreux : 2 se terminent à l’arsis du 2ème pied, 24 à la thesis et 0 à l’arsis du 3ème pied, 1 à la thesis et 0 à l’arsis du 4ème pied, 36 à la thesis et 0 à l’arsis du 5ème pied, 0 à la thesis du dernier pied. La position terminale est ici particulièrement fréquente.
−−−⏑ : 604
On trouve 125 vers où des mots de cette structure se terminant au 2ème pied, 652 au 3ème, 0 au 4ème et 657 au 5ème.
−−−−− : 15
On ne rencontre ce type de mot qu’en fin de vers : βίη Ἡρακληείη (1), βίῃ Ἡρακληείῃ (2), βίης Ἡρακληείης (2), βίην Ἡρακληείην (3), ὀρθοκραιρά̱ων (4), εὐποιητά̱ων (1), βίη Ἰ̱φικληείη (1), βίης Ἰ̱φικληείης (1).
−−−−⏑ : 6
Les vers comportant ce type de mot sont rares : 5 se terminent au 3ème pied, 0 au 4ème pied, 7 au 5ème pied.
⏑−−−⏑ : 10
On trouve 182 vers où des mots de cette structure se terminant au 3ème pied, 0 au 4ème et 458 au 5ème.
⏑⏑−−−− : 22
Ce type de mot ne se rencontre qu’en fin de vers.
⏑⏑−−−⏑ : 43
Les vers comportant ce type de mot sont rares : 23 se terminent au 3ème pied, 0 au 4ème pied, 15 au 5ème pied.
Il apparaît que le placement de mots de plus de 2 syllabes en fin de vers et conduisant à un spondée au 5ème pied n’est pas systématiquement plus rare que lorsque ce type de mot est situé à une position analogue (terminaison sur une arsis) ailleurs dans le vers. Ainsi, la véritable particularité des vers spondaïques est associée à leur rareté lorsqu’ils comportent un intermot après le 5ème pied ou après la thesis du 6ème pied.
Analyse rythmique
Le souci d’éviter les intermots entre l’arsis du 5ème pied et la fin d’un vers trochaïque a été expliqué par la crainte que l’auditeur ne perçoive une fin de vers prématurée [1]. Examinons cette éventualité pour chacun des vers présentant de tels intermots.
Les 4 monosyllabes
Il.11.639 - κνῆ τυ̱ρὸν : le c.o.d. lié à son verbe empêche la perception d’une pause entre les deux mots. Le codage tonotopique associé serait RD6 p6.
Od.4.604 - κρῖ λευκόν : idem pour l’adjectif qualificatif lié au nom. Codage tonotopique RD6 P6.
Od.12.64 - λὶς πέτρη : idem. Codage tonotopique rB6 IB6.
Od.17.208 - ἦν ἄλσος : le verbe « être » est en attente de son sujet. Codage tonotopique rB6 IB6.
Si ce genre d’explication a un sens, on peut se demander pourquoi de telles associations de mots ne sont pas plus fréquentes à cet endroit du vers. On peut aussi choisir de privilégier une emphase sur le premier mot, qui singulariserait le deuxième, isolé en fin de vers.
Les 15 spondées
Dix d’entre eux se terminent par le groupe Ἠῶ δῖαν, un nom suivi de son qualificatif, il s’agit donc d’un groupe syntaxique. La structure tonotopique peut être PD5 I6, si l’in choisit de lier ῶ à Ἠ en insistant sur l’autonomie du mot Ἠῶ au risque de donner une impression de fin de vers après ce mot, ou RD6 I6 si l’on choisit d’éviter cette impression. Compte tenu de la référence très particulière à la divine Aurore, il se pourrait bien que la première option soit préférable, l’impression de fin prématurée du vers étant mise à profit pour donner du poids au qualificatif terminal. $ Ἠῶ = mot dactyle ? cf Chantraine, Grammaire homérique $
Ἠῶ μίμνον, Ἠῶ μίμνειν. Mutatis mutandis, une analyse analogue à celle du § précédent est possible. Ἠῶ pourrait terminer prématurément le vers, en l’attente de l’énoncé de son attente.
Od.23.243 - Ἠῶ δ´ αὖτε. Ce vers appartient à un groupe où il est beaucoup question d’Aurore :
καί νύ κ´ ὀδυ̱ρομένοισι φάνη ῥοδοδάκτυλος Ἠώς,
εἰ μὴ ἄρ´ ἄλλ´ ἐνόησε θεὰ̱ γλαυκῶπις Ἀθήνη.
νύκτα μὲν ἐν περάτῃ δολιχὴν σχέθεν, Ἠῶ δ´ αὖτε
ῥύ̱σατ´ ἐπ´ Ὠκεανῷ χρυ̱σόθρονον οὐδ´ ἔα ἵππους
ζεύγνυσθ´ ὠκύποδας φάος ἀνθρώποισι φέροντας,
Λάμπον καὶ Φαέθονθ´, οἵ τ´ Ἠῶ πῶλοι ἄγουσι.
Compte tenu de l’enjambement entre le vers 243 et le suivant, le choix rétensif pour ῶ semble préférable (RD6 I6).
Il.10.574 - ἱδρῶ πολλὸν, le choix rétensif pour ρῶ semble à nouveau préférable.
Il.10.238 - αἰδοῖ εἴκων. La construction de la phrase n’est pas claire :
μηδὲ σύ γ´ αἰδόμενος σῇσι φρεσὶ τὸν μὲν ἀρείω $pas spondaïque$
καλλείπειν, σὺ δὲ χείρον´ ὀπάσσεαι αἰδοῖ εἴκων
ἐς γενεὴν ὁρόων, μηδ´ εἰ βασιλεύτερός ἐστιν. $pas spondaïque$
Quel statut donner à εἴκων ?
les 2 molosses et le pentasyllabe
Il.19.117 ἕβδομος ἑστήκει μείς·
Il.21.387 εὐρεῖα χθών,
Od.21.284 ἀκομιστί̱η τε."
Dans les trois cas il y a un fort lien syntaxique entre les deux mots, ce qui défavorise la perception d’une fin de vers avant le dernier mot.
les 7 molosses finissant sur la thesis du dernier pied
Quatre vers finissent par : εὐρεῖα χθών : une marque d’emphase sur le qualificatif peut être obtenue en donnant une impression de fin de vers, prolongée par l’énonciation du substantif. (PD5 PA6)
Il.16.384 - βέβρι̱θε χθὼν : même type de remarque avec une emphase sur le verbe, le sujet étant révélé ensuite
Il.7.238 - νωμῆσαι βῶν :
οἶδ´ ἐπὶ δεξιά, οἶδ´ ἐπ´ ἀριστερὰ νωμῆσαι βῶν
ἀζαλέην, τό μοι ἔστι ταλαύρι̱νον πολεμίζειν·
Il y a enjambement syntaxique avec le vers suivant.
Que dire ?
Il.19.117 - ἑστήκει μείς. Le lien syntaxique est à privilégier
enquête à poursuivre ?
[1] Jean Irigoin, Césure et diction du vers, in Autour de la Césure, actes du colloque de Damon 2000, p. 6